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R
é
c
i
t
S.
Gamine,
je rêvais du prince charmant... un beau prince oriental aussi brun que ténébreux,
à l'allure fougueuse et déterminée, à la démarche ferme, droit de maintien
et de parole. Un homme à qui je n'aurais pu en rien résister.
Adolescente, ses traits se sont durcis,
son regard est devenu farouche et sa mine autoritaire et je le désirais encore
plus. Je me languissais de ses désirs et de ses ordres. Il venait me délivrer
de ces fades amourettes adolescentes et m'imposait une vie d'aventure à sa
dévotion.
Femme, j'ai continué à l'espérer à travers des hommes ambitieux et déterminés.
Mais ils n'avaient pas ce détachement frisant l'indifférence, cette morgue
altière qui dessinaient la silhouette de mon fantasme. Leur ambition les enchaînaient
à leur travail, leur détachement n'était qu'absence et leur morgue qu'incompréhension.
Vingt
ans passés, aucun étalon n'a henni devant ma porte, aucun fier destrier ne
s'est cabré pour m'enlever. Je restais libre, tristement libre.
Pourtant le cavalier existait, de cela j'étais persuadée. Je percevais son
regard braise, sa voix tonnerre, courroucés par mon mon manque d'ardeur qui
le laissait éloigné. S'il ne venait pas, c'était simplement parce que je ne
le cherchais pas assez fort, que je ne l'appelais pas assez fort. J'étais
la seule coupable de ce désir trop timide.
Alors, maillon après maillon, j'ai assemblé ma dépendance. Je voulais m'enchaîner
à cette illusion pour la contraindre à la réalité. Une idée m'obsédait, celle
de souffrir pour palper et subir les effets de son existence. Que de soirées
passées à écraser mon corps de chaînes jusqu'à paraître métal, à lester mes
seins de poids jusqu'à les rendre mamelles, à brûler mon pubis jusqu'à le
faire cire lisse. Un moment d'extase fugitif récompensait parfois mes tourments.
Fugitif, toujours. Mais aussitôt disparu le tourment de mon corps, revenait
plus violente la présence du désert. Chaque grain de son sable comptant le
temps inexorable de l'absence. Sablier géant, infini car sans vie.
J'ai eu trente ans hier. Seule la souffrance me prouve que je vis. Certains se pincent pour croire ce qu'ils voient. Je me pince pour apercevoir cette douleur que j'espère dans ma souffrance. Je souffre, je souffre, mais jamais je ne crie. J'appelle la douleur en silence comme un orgasme libérateur, et asservie. Le galop des sabots passe et s'éteint dans la poussière. Poussière je suis. Le Prince ne tourne jamais le regard sur la poussière qui le suit. Poussière je jouis.